De tous temps, l’être humain s’est senti appelé à explorer l’univers. Il est descendu au creux de la terre, a pénétré dans les jungles les plus profondes, a plongé au fond des océans, a escaladé les sommets les plus hauts, et depuis quelques décennies, s’est lancé dans la conquête de l’espace. Dans le même temps, l’être humain a toujours entendu cet appel des profondeurs l’invitant à découvrir l’univers mystérieux qui réside au fond de son propre être. Le rêve éveillé, dans la modalité selon laquelle il est pratiqué dans la psychologie transpersonnelle, offre un merveilleux moyen d’entrer en relation avec le mystère de notre être et de découvrir cette réalité intérieure qui nous habite. Nous éveiller à notre vie intérieure et rencontrer les différentes parts de nous-mêmes est sans doute la plus grande aventure qui soit.
En tant qu’être humain, nous sommes dotés d’une conscience. Entendons ici par « conscience » la capacité de percevoir, ressentir, penser, autant de critères qui se réfèrent à la connaissance. En même temps, la conscience n’est pas la totalité de notre être. Un fait immédiat permet de l’affirmer : nous continuons d’exister pendant le sommeil alors même que la conscience s’interrompt. Nous ne nous réduisons pas à notre seule conscience. Notre être est plus vaste que celle-ci. Il se structure en une partie consciente et une partie inconsciente. L’inconscient renvoie au non-conscient, à ce qui échappe à la conscience. Il comprend la mémoire de toutes nos expériences, qu’elles soient heureuses ou malheureuses, les éléments appartenant à notre histoire personnelle, nos références émotionnelles et mentales et la mémoire de tous nos apprentissages de quelle que sorte que ce soit. Il est important de noter ici que l’inconscient ne se limite pas à un ramassis de souvenirs et au réceptacle du refoulé, mais dispose également d’une sagesse d’une infinie richesse. Evoquons par exemple l’instance inconsciente de l’organisme humain capable de mettre en œuvre tout un savoir biochimique complexe et élaboré tel que le processus respiratoire ou digestif que les savants d’aujourd’hui ne sont toujours pas en mesure de reproduire. Au-delà de cette sagesse organique, l’inconscient est également cet espace mystérieux où repose le noyau de notre être que l’on appelle le Soi. L’inconscient est orienté vers une finalité : le développement du potentiel humain, l’unification ou encore la réalisation de l’être.
La vie intérieure de l’être humain est constituée de l’ensemble du conscient et de l’inconscient. Ces deux facettes ne sont pas séparées l’une de l’autre de façon étanche. Il peut y avoir communication, dialogue. C’est là qu’intervient le rêve éveillé en tant que pratique permettant d’entrer en contact avec l’inconscient et permettant d’apprendre à laisser circuler les informations provenant de ce dernier. L’inconscient nous parle, nous dit quelque chose, nous informe. L’inconscient s’exprime, de façon privilégiée, au travers du langage des rêves et donc des images oniriques. Evidemment, il peut s’agir d’images visuelles, mais l’expérience est beaucoup plus vaste : sensations tactiles, auditives, olfactives, gustatives, kinesthésiques, impressions générales, pensées furtives ... Les images parlent de la vie intérieure du rêveur, de ses conflits, désirs, complexes, etc.
Le rêve est spontané et naturel dans la vie nocturne de chacun même si nous n’en avons aucun souvenir. Il est également possible, en état de veille, d’entrer dans cette dimension du rêve. Pour cela, le rêveur s’installe dans une position la plus confortable possible. La position allongée, les yeux fermés, favorise une détente et un lâcher-prise maximal. Un état de relaxation profonde est le moyen requis pour que la conscience puisse plonger dans son monde intérieur et rencontrer l’inconscient. Différentes portes d’accès au monde du rêve peuvent être utilisées. Le rêveur peut laisser surgir une image spontanée et laisser ensuite les images s’enchaîner pour créer un scénario imaginaire et totalement improvisé (rêve spontané). Une image initiale peut être proposée, le rêve peut être placé sous un thème choisi ou dans le prolongement d’un rêve nocturne (rêve semi-dirigé). Un scénario d’images peut être proposé afin d’explorer une problématique bien précise (rêve éveillé dirigé). Cette modalité du rêve éveillé dirigé est la seule pouvant être proposée lors d’ateliers en groupe pour des raisons évidentes. Le rêve éveillé inter-actif, appelé « les dons de l’aigle », consiste, pour sa part, en une technique avancée permettant d’accélérer le processus d’éveil intérieur tout en offrant des soins d’une grande profondeur.
Quelle que soit la modalité du rêve (spontané, semi-dirigé ou dirigé), le rêveur exprime le plus spontanément possible et à voix haute au thérapeute qui l’accompagne ce qu’il ressent et voit au fur et à mesure que le rêve se déroule. En constante interaction avec le rêveur, le thérapeute est là pour lui faciliter l’exploration de son monde intérieur. Il adapte chacune de ses interventions et n’impose rien. Il peut intervenir pour faire préciser une partie de l’espace imaginaire ou proposer une bifurcation possible du scénario. Le rêveur partage toutes les images qui lui apparaissent et s’enchaînent. Le thérapeute suggère, encourage et accompagne le rêveur dans un respect total de sa liberté, car lui seul vit son rêve et choisit le rythme de son cheminement.
Imaginons quelques instants l’expérience d’un rêveur qui, lors de son parcours onirique, se retrouverait soudainement devant un obstacle qui lui barrerait le chemin. Les techniques d’imagerie médicale actuelle (radiographie, scanner, I.R.M.) permettent de mettre à jour la face invisible de l’organisme humain, et ainsi de proposer des diagnostics très précis. Par analogie, le rêve éveillé permet de révéler les blocages et résistances du rêveur. Les images qui apparaissent ne doivent rien au hasard. Elles sont l’expression imagée de représentations mentales héritées de notre histoire, de notre éducation, de notre culture et de l’inconscient collectif dans lequel nous baignons. Les images invitent le rêveur à une rencontre intime avec lui-même et tout ce qui l’habite. Le thérapeute interroge le rêveur sur la nature de l’obstacle en question, sur ce que cela lui fait de se retrouver ainsi entravé dans son avancement. Il l’invite à exprimer ses ressentis (sensations, émotions, sentiments, pensées, impressions), et à partager ce qu’il se raconte intérieurement face à cet obstacle inattendu. Le rêveur est encouragé à accueillir ses premières réactions. Cette étape peut déjà permettre au rêveur de prendre peu à peu conscience de ses modes de fonctionnement habituel face à un obstacle, et lui permettre d’identifier clairement les schémas inconscients négatifs qui l’empêchent d’avancer dans la vie. Si les techniques d’imagerie médicale permettent de mettre en lumière les dysfonctionnements internes de l’organisme humain, elles n’offrent pas en elles-mêmes le soin des pathologies qui ont été révélées. Le rêve éveillé, pour sa part, permet au rêveur de prendre conscience des représentations plus ou moins déformées qu’il peut entretenir, et lui offre dans le même temps l’occasion d’entreprendre d’ores et déjà la libération progressive des emprises inconscientes dont il est esclave.
Le thérapeute peut proposer au rêveur de trouver un autre passage pour poursuivre son chemin. Si aucun autre passage ne se présente, il peut suggérer au rêveur de voir s’il lui est possible, avec ses moyens humains, de passer au-dessus de l’obstacle, ou encore en-dessous. Si cela s’avère impossible, il peut suggérer au rêveur de rester là, devant l’obstacle, en accueillant tout ce que cela éveille en lui, pour ensuite l’inviter à contacter la capacité qu’il a, en conscience, de se projeter de l’autre côté de l’obstacle pour voir ce qu’il y a au-delà. L’accompagnement du thérapeute a pour sens de faire évoluer la situation du rêveur en cherchant consciemment et intentionnellement des solutions à la problématique rencontrée au cœur du rêve et exprimée au travers de l’image, ici, de l’obstacle. Inviter le rêveur à expérimenter différentes attitudes face à ce qui lui apparaît comme une difficulté, et chercher à modifier le scénario problématique, permet, de façon subtile, de modifier les structures inconscientes qui ont produit cette difficulté. Les images révèlent des aspects problématiques, et ces images peuvent être modifiées ce qui va modifier en retour les structures qui les ont fait naître. C’est le principe même du travail intérieur. Les images oniriques ne naissent pas de rien, mais sont produites par des structures affectives et mentales sous-jacentes. Ces images sont chargées d’énergie, c’est-à dire d’émotions. Elles sont actives. A travers la modification de ces images, un travail s’opère sur la profondeur de l’âme du rêveur. La répétition de ce travail d’alchimie intérieure permet au rêveur de se libérer progressivement de nombreux conditionnements, de réformer ainsi sa conduite, et d’apprendre de nouveau réflexes mentaux, émotionnels et comportementaux.
Après avoir exploré ce qui était au-delà de l’obstacle et être revenu devant celui-ci, le rêveur peut tout d’abord noter les éventuels changements, en lui-même, ou encore dans la situation. Le thérapeute peut ensuite l’inviter à faire appel à un allié de lumière, ou encore à une couleur lumineuse et magique pour trouver la solution à ce défi représenté ici par l’obstacle. De telles images symboliques et archétypiques se révèlent de puissants médiateurs permettant d’entrer en contact avec les forces créatrices et spirituelles de l’être. Ces images ne sont pas uniquement des reproductions passives de réalités spirituelles, mais sont actives, créatrices, et agissent et modifient puissamment le déroulement du rêve. Ces images permettent au rêveur d’établir un contact vivant avec son être intérieur, son noyau sacré, où siègent son potentiel et ses ressources cachées. Au fur et à mesure que s’approfondira le contact avec son intériorité profonde, le rêveur sera davantage à même d’entreprendre les transformations nécessaires pour se libérer des structures inconscientes aliénantes, retrouver une énergie créatrice et revenir au monde d’une façon renouvelée.
Une fois l’expérience du rêve lui-même terminée, il peut être parfois proposé de demeurer en silence, et de clore la rencontre sur cette expérience intérieure. Cela peut être une manière de laisser le rêve œuvrer encore subtilement en soi. A la suite du rêve ou lors d’une prochaine rencontre, il est également possible d’exploiter les matériaux fournis par le rêve, de dégager les significations du scénario. Ainsi, le vécu du rêve peut se prolonger par des prises de conscience et des pratiques complémentaires.
Une problématique de vie (conflits familiaux, problèmes de couple, problèmes personnels, difficultés professionnelles, crise existentielle ...), peut motiver une démarche au travers du rêve éveillé. Certains rêves éveillés sont spécialement conçus pour traiter et soigner ces diverses problématiques au travers de trois grandes phases : introspection, alchimie, restructuration. La phase d’introspection permet au rêveur de comprendre l’origine des difficultés dont il souffre tout en l’aidant à en prendre conscience. La phase alchimique lui permet de commencer à faire muter les blocages inconscients qui lui nuisent. La dernière phase de restructuration psychique permet au rêveur de reconstruire en lui-même des représentations conformes aux archétypes harmoniques. Suite à l’expérience du rêve éveillé, le thérapeute aide le rêveur à réfléchir et agir de façon plus optimale face à ses situations de vie problématiques passées, présentes ou à venir.
Le rêve éveillé peut répondre à l’aspiration à vivre un chemin de connaissance de soi et de transformation intérieure. La psychologie transpersonnelle a ceci de singulier : offrir une alliance cohérente entre psychologie des profondeurs et spiritualité. Le rêve éveillé permet, certes, d’explorer les mémoires personnelles pour un soin de nos blessures intérieures, mais permet surtout de rétablir la reliance de la conscience avec notre noyau le plus profond. La véritable alchimie intérieure qu’offre le rêve éveillé permet de dégager de sa gangue rocheuse le diamant de notre être. Y a-t-il voyage plus passionnant que celui qui invite à plonger au cœur de l’être ?
Ce récit suit fidèlement la trame de l’expérience intérieure d’une personne que j’ai accompagnée en « dons de l’aigle », technique avancée de rêve éveillé. Avec l’autorisation de cette personne, je partage ce cheminement intérieur en tant qu’illustration vivante de ce que peut donner l’expérience onirique. Celle-ci n’a pas été initialement placée sous une thématique donnée ni dans la perspective d’amener une résolution à une problématique précise. Tout a émergé à partir de l’interaction constante entre le rêveur et moi-même. Mon accompagnement a consisté à faire conscientiser au rêveur ses ressentis (sensations, émotions, sentiments, pensées), à lui suggérer d’éventuels actes à poser et à l’inviter à intérioriser la richesse de chaque vécu.
L’imagination active n’est ni la production d‘un voile épais dont nous recouvririons la réalité dans la tentative de noyer nos difficultés ni une fuite du monde réel vers un pays imaginaire fantasmé en secret. Il ne s‘agit pas d’illusion dont nous pourrions nous bercer mais d’un chemin pour retrouver notre identité profonde.
Chaque image, chaque personnage, chaque ressenti, chaque acte posé au cœur du rêve parle du rêveur lui-même, de sa vie intérieure, de ses problématiques d’âme. Le chemin parcouru en état de conscience élargie permet au rêveur de vivre, dans la profondeur de son être, dans ses ressentis intimes, de nouvelles attitudes face à ce qui peut lui paraître comme des difficultés.
Une lumière d’un vert printanier apparaît. Un voyageur avance sur une grande allée bien dessinée. De part et d’autre, se dressent de grands arbres dont les branches se rejoignent au-dessus de l’allée comme pour former une voûte. Un profond sentiment de gratitude monte dans le cœur du voyageur face à tant de grâce et de beauté. Il entend le bruit du vent dans le feuillage. Il est émerveillé devant l’harmonie qui a pu émerger de la collaboration entre l’humain et la nature. Il reconnaît l’empreinte du travail de l’homme sur cette allée et cette végétation harmonieuse.
Le tunnel végétal ouvre enfin sur le spectacle d’un château, très ancien, avec de hautes tours. Là encore, le voyageur est touché par la beauté et l’harmonie qui se dégagent de l’architecture. Sans prévenir, le vent se lève. Plusieurs fenêtres du château, étant restées ouvertes, se mettent à claquer. Le voyageur s’étonne. Comment peut-on ne pas prendre soin d’une telle beauté, d’une telle harmonie, et laisser ainsi un tel lieu sans entretien ? Les vitres pourraient se briser sous la force du vent …
Le château est entouré d’eau. Le voyageur franchit un pont le menant devant une porte monumentale en bois. Dans cette porte, est dessinée une autre porte plus petite. Le voyageur la pousse avec une certaine insistance avant qu’elle ne s’ouvre. Les gongs crissent. Là encore, tout révèle un manque d’entretien. Le voyageur se retrouve dans une cour à ciel ouvert, entourée de plusieurs bâtiments. Le bruit de ses pas résonne sur les pavés.
Ses pas le guident vers une haute tour. Un escalier en colimaçon monte sur l’extérieur de la tour. Le voyageur s’engage dans l’escalier, et arrive bientôt en haut. Il se retrouve devant une grande porte en bois où est dessinée une plus petite porte. Il frappe plusieurs coups contre la paroi de bois pour ainsi prévenir de sa présence. Une petite fenêtre s’entrouvre au niveau de la porte laissant à peine deviner un visage dans l’ombre.
C’est pourquoi ? demande une voix de l’autre côté.
Le voyageur est bien en peine de répondre, ne sachant pas lui-même ce qu’il fait dans ce lieu. Il explique à la voix sans visage qu’il vient d’arriver en ce lieu, mais ne sait pas trop ce qui le mène là. Le voyageur perçoit l’hésitation de son hôte à lui ouvrir, hésitation bien compréhensible face au peu d’explications qu’il peut lui-même donner.
La porte s’ouvre très lentement laissant apparaître un homme enveloppé d’un long manteau, la tête recouverte d’une capuche. Le voyageur distingue à peine son visage, un visage avec un nez prédominant, voire même crochu. Cet hôte étrange se déplace avec grande difficulté à l’aide d’une canne, se tenant le dos courbé. Le voyageur entre. La porte se referme derrière eux, seule la petite fenêtre dans la porte restant ouverte. Le voyageur ressent l’espace où il vient d’entrer telle une grotte sombre en comparaison à la beauté de la façade extérieure du château.
Le voyageur s’assoit sur un banc auprès de son hôte qui s’avère être le gardien du château. En effet, il est là pour accueillir les éventuels visiteurs. Lorsque le voyageur lui exprime son étonnement face au décalage entre l’harmonie extérieure du château et le délabrement intérieur, le gardien acquiesce. Le lieu aurait besoin d’entretien, mais par lui seul, il ne peut rien faire. Une trentaine d’hommes suffiraient à peine pour accomplir la tâche. Le gardien du château semble s’affaisser encore davantage sous le poids de ce constat.
Le voyageur fait du regard le tour du lieu où il se trouve. Il a l’impression d’être comme à l’intérieur d’une cheminée tant les parois sont recouvertes de suie. Il propose alors au gardien son aide pour commencer à nettoyer. Le gardien accepte aussitôt. Et les voilà tous deux en train d’épousseter, d’essuyer les parois. Ils ouvrent la porte, la coinçant pour qu’elle demeure ouverte sur la lumière. Des tentures moyenâgeuses sont bientôt révélées de dessous la suie. Le voyageur reste bouche bée devant l’une d’elle représentant une magnifique licorne. Il est subjugué par l’animal fabuleux. Tandis qu’il la contemple, la tenture prend vie, la licorne s’anime. Elle prend corps et se déplace pour venir se désaltérer à un abreuvoir. Le voyageur s’approche de l’animal mythique, la caresse, et suivant son élan, l’enfourche. Tout semble naturel à la licorne.
Le gardien, de son côté, continue d’épousseter les tentures jusqu’à prendre conscience de ce qui se passe devant lui. Il écarquille les yeux. La licorne s’approche de lui, venant lui lécher le dos de la main gauche. Le gardien n’en revient pas. Il caresse l’animal. Regardant le voyageur toujours juché sur sa monture, le gardien s’extasie. Il ignorait totalement qu’une telle merveille se trouvait là, en ce lieu.
Le voyageur descend de sa monture tout en restant en contact avec elle. Il invite le gardien à venir avec lui visiter d’autres endroits du château car sans doute d’autres merveilles les y attendent. Et voilà nos trois amis, le voyageur, le gardien du château et la licorne, partant à la découverte de quelques secrets. A peine entrent-ils dans une pièce que tout s’éclaire autour d’eux. La poussière s’envole, la suie fond révélant des trésors de tentures, de mobilier précieux, d’argenterie. C’est comme si la présence merveilleuse de la licorne suffisait à révéler la beauté déjà présente partout mais dissimulée sous des couches de poussière. Le gardien s’émerveille devant chaque nouveau trésor. Chaque nouvelle merveille révélée donne tout son sens à sa mission de gardien du château. Alors même que son être est touché par tant de beauté, s’insinue en lui une inquiétude sourde. SE tournant vers le voyageur, il le supplie de rester avec lui, car toutes ces merveilles pourraient bien s’envoler comme un rêve dès son départ.
Le voyageur s’approche du gardien. En le regardant plus profondément, il l’invite à enlever sa capuche pour découvrir sa propre beauté intérieure. La licorne a ce pouvoir de révéler la beauté des choses donc des êtres également. Le gardien est réticent. A quoi cela servirait de montrer davantage de lui ? Que gagnerait-il à le faire ? Il doute au fond de lui de la capacité de la licorne à le transformer, à dévoiler sa beauté propre. A l’intérieur de lui, il se sent ratatiné, à l’étroit comme dans une carapace de tortue. Le voyageur tente d’encourager le gardien à se dévoiler. Il cherche à le rassurer en lui montrant l’impact extraordinaire de la licorne qui vient tout transformer.
Le voyageur se tourne à nouveau vers l’animal magique. Alors qu’il voyait jusque-là la licorne de la taille d’un cheval, il imagine à présent, vu le pouvoir fabuleux de celle-ci, qu’elle les voit, lui et le gardien, minuscule comme s’ils étaient des lilliputiens. Il l’imagine immense. Il suppose par conséquent que cela demande beaucoup d’attention à la licorne pour ne pas les broyer sous ses sabots. La licorne fléchit alors les pattes pour se coucher et être ainsi à la hauteur de ses amis. Si seulement le voyageur pouvait imaginer un instant être regardé par la licorne dans sa véritable grandeur et non comme le petit grain de poussière qu’il pense être …
Le voyageur, suivi du gardien, s’approche de l’animal et se met à la caresser. A travers ce contact, le voyageur reçoit de la licorne un profond courant de bienveillance. Cette bienveillance s’écoule en lui comme une pluie d’étoiles descendant sur sa tête et venant l’envelopper d’un manteau d’un bleu très clair, très lumineux où se déplace lentement chaque étoile. Enveloppé de cette clarté étoilée, le voyageur sent grandir en lui la capacité de porter un regard empreint de profondeur et de bienveillance sur lui-même, sur sa vie, son histoire, un regard pouvant transformer ce qui a besoin de l’être, un regard permettant d’enlever les voiles et révéler les trésors jalonnant son chemin de vie.
Le gardien lui aussi caresse la licorne. A son contact, il prend conscience du problème de peau dont il souffre. En effet, il souffre de la lèpre d’où son visage déformé, d’où sa réticence à dévoiler plus avant son corps rongé par la maladie. Au contact de la licorne, il se sent nourri dans son être. Il reçoit de l’animal merveilleux un amour infini qui pénètre en lui et vient allumer en son cœur une petite flamme. Cette flamme fragile, minuscule brille et brûle telle une veilleuse. Il prend conscience de la préciosité de cette étincelle en lui qui le remet en accord avec la vie, avec l’élan de vie en lui jusqu’à se ressentir pleinement vivant.
Pour un instant, le voyageur et le gardien ne forment plus qu’un. Le voyageur ressent dans sa propre poitrine, au secret de son propre cœur, la présence de cette flamme précieuse et sacrée. Il se centre sur cette infime lumière qui l’habite. En s’appuyant sur le souffle, il vient nourrir cette flamme en oxygène et combustible. La flamme croît au-dedans de lui. Il se sent plus vivant que jamais, empli d’une vie secrète et vibrante. La flamme s’installe profondément dans son cœur, au secret de lui, inscrivant dans chacune de ses cellules le sentiment de la préciosité de son être.
A nouveau apparaissent distinctement le voyageur, le gardien et la licorne. Ils se blottissent les uns contre les autres. Une belle énergie circule librement de l’un à l’autre, un lien mystérieux les reliant intimement. Ils fusionnent bientôt se fondant dans une belle lumière bleue parsemée d’étoiles synthétisant la richesse de cette rencontre. Le voyageur reçoit cette lumière dans son cœur. Son coeur s’ouvre largement pour laisser cette clarté étoilée pénétrer en lui et venir habiter chaque espace, chaque recoin. La lumière étoilée s’infiltre jusqu’au tréfonds de son être venant guérir en profondeur le sentiment d’indignité qui peut encore parfois l’habiter. La clarté étoilée vibre dans tout son être le mettant intimement en contact avec le souvenir de la valeur fondamentale, inestimable et très sacrée de son être. Une légèreté extraordinaire l’envahit. Une douceur infinie l’enveloppe. Tout son être entre dans l’expansion. Son être véritable n’est pas ratatiné, étriqué, mais infini comme l’espace étoilé et vibrant de vie telle une flamme chaleureuse et rayonnante ...
Le voyageur s’imagine quelques instants au cœur de l’une de ses relations quotidiennes les plus intimes. Au lieu de se sentir rabaissé par le regard que l’autre peut porter sur lui, il se sent désormais en capacité de revenir en contact avec la vastitude de son être, dans la conscience de son essence divine et sacrée. Quand l’émotion émerge en lui face au fait que l’autre ne puisse l’accueillir et le considérer dans sa beauté intérieure, il peut cheminer vers une guérison profonde en recontactant en son cœur l’éternelle flamme de vie qui lui a été donnée par droit divin. Même dans les circonstances les plus pesantes, il peut choisir de continuer à bénir cet autre faisant partie de sa vie. Il invoque la grâce divine à descendre sur cette personne pour venir alimenter la flamme intérieure de celle-ci. Rien ne peut résister à la grâce divine. La lumière descend sur l’autre. Le voyageur continue de son côté à s’ouvrir à la dignité fondamentale de son être, son droit à l’amour et la bienveillance. La guérison s’approfondit ainsi de couche en couche, au fil du chemin, indépendamment de l’attitude que l’autre choisit d’adopter envers lui.
Toi qui me lis, ne t’est-tu jamais senti découragé, abattu devant l’ampleur de la tâche à accomplir dans le cadre d’un travail intérieur ? N’as-tu jamais baissé les bras face à tout ce que tu devrais transformer en toi et dans ta vie pour pouvoir enfin exprimer ton être véritable ? Ne t’es-tu jamais senti tout bonnement incapable de te mettre à la tâche n’en voyant pas l’intérêt ni le sens ?
Viens te présenter en conscience devant cette part de toi qui, à l’image du gardien du château, courbe l’échine sous le poids apparent du travail à accomplir. Approche-toi avec bienveillance de cette part de toi qui peut être dans l’accablement ou une forme de résignation. Ensemble, main dans la main, mettez-vous au travail. Vois le premier petit pas qu’il te serait possible de faire pour aller vers plus d’harmonie, et engage-toi dans ce tout petit pas. La licorne apparaît aux yeux du voyageur puis du gardien dès qu’ils s’engagent dans le travail qui leur revient. De la même façon ta décision de faire un petit pas en avant et cet acte que tu poses permettent à des forces profondes et secrètes d’émerger pour œuvrer mystérieusement dans le sens d’une harmonie plus grande.
De plus, à l’image de la licorne, ta conscience profonde a le pouvoir magique d’amener la lumière là où elle pose son regard, et de révéler des trésors insoupçonnés. Derrière le travail sur soi de conscience et de déblaiement, t’attend la découverte émerveillée de ce que tu n’imagines même pas au fond de toi-même. Cela ne te donne-t-il pas l’élan nécessaire pour ouvrir des portes laissées fermées jusque-là, pour enlever des voiles, visiter des zones inexplorées de toi-même ?
Toi qui me lis, n’as-tu jamais ressenti, à l’image du gardien du château, de réticence à te dévoiler, à te montrer dans ton véritable visage, à révéler au monde ce qui t’habite, qui tu es en vérité ? NE t’es-tu jamais senti indigne, sans valeur, non conforme aux critères du monde ? Ne t’es-tu jamais ressenti exclu, voire même « paria » de part telle ou telle différence ? Peux-tu envisager aujourd’hui de tourner complètement ton regard vers l’intérieur de l’être et non plus vers le paraître ?
Imagine-toi quelques instants … Que ton imagination ne se limite pas à une visualisation. Cherche à ressentir jusque dans chaque fibre de ton être. Ressens-toi regarder en cet instant avec un amour infini. Imagine posé sur toi le regard divin, un regard qui ne voit en toi que la beauté, que la plénitude de ton être, que ton entièreté, ta complétude. Peux-tu t’imaginer être regardé ainsi ? Etre regardé dans ta beauté secrète, véritable, essentielle … Et si chaque jour, tu prenais quelques instants de recueillement dans le silence pour te placer sous ce regard divin pour naître à qui tu es en essence … Un être intact, entier, un être empreint de beauté, un être digne d’amour …